En s’imposant 1-0 dimanche, l’équipe nationale a signé un succès important, face à une grosse nation. Décryptage.
C’est une victoire qui soulage tout le monde du football suisse: les internationaux, qui ont démontré contre le Portugal qu’ils sont toujours capables de rivaliser avec les meilleurs, Murat Yakin, qui a enfin trouvé une formule qui marche en 2022, et ses suiveurs qui resteront sur un souvenir agréable de cette équipe nationale. L’été peut être plus serein.
Et battre un adversaire aussi prestigieux n’est pas si commun pour la Suisse. Ce succès dit qu’elle est capable de mettre en place des choses qui fonctionnent même contre les plus gros. Une prestation qui a valeur de référence? Yakin peut construire sur cette performance, assurément. Mais il devra aussi la remettre en cause, pour les aspects qui ont été moins prometteurs. Décryptage des aspects à garder et ceux à faire évoluer avant les prochains rendez-vous de septembre (en Espagne et contre la Tchéquie).
Le pressing EST une référence
Des quatre matches qu’elle aura disputés en juin, la Suisse pourra tirer un enseignement important: c’est quand elle a pressé haut qu’elle s’est montrée le plus dangereuse offensivement. En récupérant haut, on est plus proche des buts adverses et le schéma offensif n’a pas besoin d’être particulièrement rodé pour être efficace. Il suggère beaucoup d’instinct. Mais surtout une préparation minutieuse en amont, pour que le pressing fonctionne.
En 2022, la Suisse a adopté des mécanismes clairs pour l’enclencher. Ce sont les mêmes qui ont été éprouvés à Wembley en mars, à Prague, à Lisbonne et contre l’Espagne à Genève. Avec toujours la même idée: presser à deux pour cadrer les centraux (généralement l’attaquant nominal et l’ailier droit, soit Seferovic et Shaqiri dimanche), un marquage individuel au milieu (Sow sur Ruben Neves). L’objectif étant de laisser la «porte ouverte» vers le latéral, sur lequel sort le latéral suisse (en l’occurrence Widmer). Le mouvement est clair.
Il a donc porté ses fruits dimanche, dès la première minute, puisque le seul but du match est venu de là. Or, à Lisbonne une semaine plus tôt, la Suisse avait déjà tenté de reproduire cette approche. Cela a presque à chaque fois causé sa perte. Question de distance et d’anticipation sur le temps de passe (Mbabu avait parfois eu un certain retard), mais surtout une différence notable sur les défenseurs centraux alignés. Puisque ces principes entraînent un marquage individuel, ils imposent d’avoir des défenseurs très forts dans les duels. En la matière, Akanji et Elvedi sont beaucoup, beaucoup plus fiables que Schär et Frei, alignés à Lisbonne. Ce sont en grande partie eux qui ont contribué à la réussite du schéma.
L’approche médiane N’EST PAS une référence
Contre le Portugal dimanche, la Suisse avait deux systèmes, plutôt complémentaires. Avec ballon, elle s’organisait en 4-3-3 (Xhaka devant la défense, avec Freuler et Sow devant lui). Et sans ballon, on la voyait généralement s’organiser en 4-2-3-1, avec Sow en pointe haute. C’est ainsi que l’équipe de Murat Yakin entendait donc se positionner lorsque le Portugal était en possession du ballon, plus ou moins à mi-terrain.
Cependant, cette approche en bloc médian de Yakin a ses particularités. La première étant l’orientation très individuelle des milieux de terrain. Autrement dit, ces derniers ont tendance à suivre d’assez près les déplacements de leurs vis-à-vis. Il y a une volonté de marquage plutôt que de compacité en fermant les lignes de passes vers l’intérieur du jeu. Cela peut donc avoir tendance à créer des trous, notamment dans le cœur du jeu. Le Portugal s’est créé certaines situations de la sorte dimanche.
Là encore, l’approche gagne en fiabilité grâce aux défenseurs centraux. C’est en suivant à la trace les décrochages d’André Silva que Manuel Akanji et principalement Nico Elvedi ont pu annihiler plusieurs actions qui avaient transpercé le bloc suisse. Leur solidité dans les duels et leur capacité d’anticipation permettait d’écarter le danger, tout en maintenant le bloc relativement haut. Mais l’idée est risquée.
La défense de surface EST une référence
Si la Suisse n’a pas encaissé de but en deuxième mi-temps dimanche, lorsque le Portugal se faisait particulièrement menaçant et qu’elle commençait à peiner à remonter son bloc, c’est parce qu’elle a été solide devant ses buts. La performance de Jonas Omlin y est bien sûr pour beaucoup: huit arrêts effectués et des Expected Goals on Target (qui calculent la probabilité d’encaisser un but après le tir effectué, et non avant comme le modèle classique) qui suggéraient qu’il aurait «dû» concéder 1,36 but. Impérial sur sa ligne, avec une capacité de déplacement et de fermeture des angles de frappe saisissante, le portier de Montpellier a rempli sa fonction de dernier rempart.
Mais avant lui, la défense suisse se portait déjà bien. Elle était active, même si basse. Autrement dit, elle gagnait des mètres dès qu’elle en avait l’occasion, rendant moins facile le développement des actions portugaises. Et puis, les prises à deux, voire à trois ont permis d’écarter le danger à la source, avant une passe vers la surface. Sans oublier la présence impériale de la charnière Akanji-Elvedi, qui a dégagé 15 ballons, dont 10 dans les dix dernières minutes.
La relance EST une référence
Place à l’aspect avec ballon. Du temps de Vladimir Petkovic, il s’agissait sans doute des séquences les plus soignées, les plus réfléchies. Avec Yakin, c’est un peu moins évident. Mais la Suisse a quelques bons restes. Notamment s’agissant de la sortie de balle. L’équipe nationale peut compter sur des joueurs fiables, même lorsqu’elle n’a pas Yann Sommer. Contre le Portugal (et son pressing peu organisé), Omlin a contribué à donner une certaine continuité au jeu. Même si c’est logiquement avec Manuel Akanji et Granit Xhaka que les actions pouvaient être lancées.
D’ailleurs, Omlin a presque constamment joué à sa droite, avec Akanji. C’est un changement par rapport à Petkovic, qui alignait Akanji dans l’axe de sa défense à trois, lequel pouvait avancer avec Rodriguez à sa gauche. Désormais, la Suisse repart à l’opposé et mise sur un premier relais avec Xhaka. Dimanche, c’est aussi en décrochant Widmer qu’elle pouvait attirer le pressing. Car cela reste l’objectif, hérité du précédent sélectionneur: résister à la pression pour l’éliminer et attaquer les espaces ensuite. Freuler a par exemple tenté d’être l’accélérateur une fois plusieurs Portugais éliminés. Sans franc succès.
L’utilisation du ballon N’EST PAS une référence
C’est en effet une des plus grosses déceptions de la victoire de dimanche: l’incapacité à se montrer déséquilibrant à la construction. La sortie précoce de Shaqiri a pu y contribuer. L’utilisation d’Embolo aussi: ce dernier, placé sur un côté, a été peu sollicité. Très vite, il a décroché. Et trop bas: à la hauteur de ses milieux. Le jeu en remise était difficile puisqu’il ne pouvait trouver que ses défenseurs. Avec quelques pertes de balle dangereuses. Il n’a donc jamais combiné, et ne s’est jamais vraiment mis dans le sens du jeu.
Problématique. Puisque Shaqiri et Embolo sont les deux joueurs au profil vraiment différent de cette équipe de Suisse. Les seuls à pouvoir créer véritablement du désordre chez l’adversaire. La possession suisse s’est donc avérée de plus en plus stérile: seuls cinq ballons ont été touchés dans la surface (légèrement mieux que les 4 de Lisbonne, mais moins bien que les 7 de jeudi, et évidemment très loin des 30 côté portugais). Très maigre.
D’autant que cela n’a pas vraiment été compensé par un véritable contrôle, malgré quelques séquences prolongées, ni des transitions très propres (deux sur l’ensemble du match). En fait, la Suisse a verticalisé très rapidement, sans succès. Ainsi, elle présente une moyenne de 3,7 passes effectuées par possession. C’est très peu: pire que contre l’Espagne jeudi. Et le signe qu’il y a un véritable chantier à envisager pour Murat Yakin.